Moïse Kabagambe, nouvelle victime du racisme au Brésil

Article : Moïse Kabagambe, nouvelle victime du racisme au Brésil
Crédit: Carlile
10 février 2022

Moïse Kabagambe, nouvelle victime du racisme au Brésil

Manifestation
Crédit photo : Carlile

17h, nous sommes au Brésil, à Curitiba. Par cette belle après-midi, plutôt tranquille, de 5 février 2022, se ramasse un petit lot de gens, quelques centaines tout au plus, sur la petite place “Largo da Ordem” à la porte de “igreja do Rosário”. Le temps est quelque peu capricieux encore. Il vient de pleuvoir de fines cordes. Malgré la menace, les gens ne manquent pas au rendez-vous.

C’est que la cause vaut d’être trempé.

Ils sont là pour la justice, celle de Moïse. Ce tout jeune congolais de 24 ans qui a été lâchement maîtrisé par trois brésiliens, ligoté et tabassé à mort, à Rio de Janeiro. Non pas que j’en fais toute un histoire. En ce moment, Moïse aimerait être présent. Rien que pour profiter de la pluie. Ses bourreaux ne se gênaient pas de lui soustraire ce plaisir.

C’est la énième fois que la violence du racisme est amenée à être traitée sur la place publique. Mon frère Russel et moi avions été invités à nous joindre aux manifestants. Nous y sommes allés croyant ferme que ce pourrait être l’un d’entre nous, croyant aussi ferme que si on n’agit pas pour faire respecter la vie des gens quelque soit leur origine ou leur couleur, la barbarie du racisme ne freinera jamais.

Des slogans marquants: “Justiça por Moïse !”, “Não normalize a barbárie !”, “Moïse presente !”, “Bolsonaro racista !” ou “Vidas negras importam !”. Une impression de déjà-vu. Ha oui! “Black life matter.s!” Je me souviens vaguement de George Floyd. Mort étouffé, en pleine rue, par des policiers racistes au Etats-Unis. Partout, dans le monde occidental, l’homme noir n’a pas droit à l’erreur. Un tout petit, un moindre, et il est prêt à être expédier, brutalement, de l’autre côté. Qui fait le sale boulot d’ailleurs? N’importe quel citoyen de bonne volonté, quand c’est pas des policiers racistes qui s’en chargent eux-mêmes. Ils oeuvrent pour que le système maintienne sa sauvagerie.

Manifestation
Crédit photo : Gloire

Hurler contre le racisme institutionnel…

Dans sa prise de parole, le secrétaire général de l’association BOMOKO (une association d’étudiants immigrants africains à Curitiba qui s’aident mutuellement), insiste sur le fait que le « nègre » a beau avoir toutes les capacités et les qualités du monde, il est toujours considéré comme étant un éternel ouvrier. L’homme de couleur qu’il faut maintenir tout en bas de l’échelle, dans cette société brésilienne à fort tempérament raciste. 

Manifestation
Crédit photo : Gloire (à côté du secrétaire général de BOMOKO, avec la pancarte, se trouve un ami de moïse qui habitait le même immeuble que lui)

Ça ne change pas depuis l’époque de nos ancêtres, me dit mon frère. On se retrouve toujours sur la place publique à demander aux blancs racistes et incorrigibles d’arrêter de nous descendre selon leur bon vouloir,ou leur humeurs. Il se demande, l’air inquiet mais en colère, si crier sur la place publique ou manifester dans les rues suffira à nous faire respecter, les dix ou cent prochaines années. Il nous faut d’urgence une autre stratégie plus dynamique pour protéger la vie des Noirs dans ces sociétés occidentales, capitalistes, racistes.

J’ai eu l’occasion, inespérée, de m’entretenir avec deux jeunes (ils souhaitent rester anonymes) de l’association “Organização Ato”, (l’Organisation Action œuvre pour l’éducation et un monde meilleur) qui font partie des organisateurs de la manifestation. Leur action épouse au moins trois points de vue.

Le premier, ils savent que Curitiba est une ville historiquement influencée par la vision d’être une ville blanche et européenne et qui a forte tendance à oublier les contributions des afrodescendants dans sa construction.

Manifestation
Crédi photo: Carlile

Le second, ils pensent que la lutte contre le racisme; la lutte contre le fachisme et le capitalisme sont intimement liées. Qui plus est, selon eux, dans le Brésil d’aujourd’hui, la politique publique du gouvernement actuel n’arrange pas les choses, en créant plus d’inégalités sociales.

Le troisième, des statistiques de l’année 2020 disent qu’au Brésil 80% de personnes mortes dans des situations violentes, sont noires. Cela a mobilisé leur action pour rappeler au monde qu’une vie humaine est une vie et qu’elle n’a pas de couleur. Aussi pour exiger que ces crimes basés sur le racisme institutionnel et la xénophobie soient punis, et surtout, pour que le gouvernement agisse dans l’objectif de créer un Etat plus juste et sans violences pour les brésiliens Noirs et les immigrants.

J’ai vu la vidéo où Moïse s’est fait tabasser à mort. On l’a tous vu d’ailleurs. Primitif. C’est d’une violence coloniale. Le racisme est une émotion, un sentiment si barbare qu’elle nous rend complètement animal et aveugle. Les trois assassins ne se doutaient pas une seconde qu’ils auraient pu être filmés en pleine acte, en plein XXIème siècle. L’idiotie est un bien vilain défaut.

Dans leurs déclarations à la police, ils décrivent le jeune congolais Moïse comme étant un alcoolique et drogué qui cherchait des problèmes. Comme quoi il méritait d’être maîtrisé, ensuite ligoté, puis tabassé longuement et brutalement à mort.

Jusqu’ici la pluie n’a pas contrarié la manifestation. Il s’est passé beaucoup de choses, puis au crépuscule on a quitté la place. La justice est un plat qui se mange chaud. J’ai pris beaucoup de plaisir à suivre le mouvement à travers rues. Les cris sont lancés dans l’air. Et moi, étant le Candide de ce siècle, je prie pour que cette action soit suffisamment entendue, et que Moïse repose en paix, parmi les millions de victimes du racisme.  

Carlile Max Dominique Cérilia

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