C’est que j’ai eu le cafard

Article : C’est que j’ai eu le cafard
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3 mars 2022

C’est que j’ai eu le cafard

Crédit photo: Carlile (Un magnifique coucher de soleil vers une plage du Brésil, Santos, São Paulo.)

Faut pas me demander pourquoi. A moins que tu veuilles changer mon humeur en une tasse de café froid. Ça prend du temps, quand on était confiné deux années d’affilées, pour qu’on revienne d’emblée à la vie sociale. Je veux oublier ce cauchemar invisible. L’abandonner dans un coin poussiéreux de ma mémoire. C’est ce qu’on fait quand on veut aller de l’avant sans vaciller. Qui voudrait songer à une période pareille ? Si on en parle c’est parce qu’on se réveille tout juste d’une blessure fraîche. J’ai le cafard rien que d’y penser sans la mer bout des ongles.

Voilà deux semaines que j’ai pris le bus. Seul, comme un loup assoiffé d’aventures fraîches. J’ai dû, encore, porter le masque. D’autres ont perdu des proches. Ils traversent encore le sombre et mystérieux tunnel du deuil. Ça se lit sur des visages. Pas la peine d’approfondir sur un sujet dont tout le monde connaît les détails mais refuse d’en parler. On ne m’a pas demandé ma carte de vaccination. Je l’avais pourtant. Juste à portée de main, dans ma poche droite. Le bus a foncé dans la nuit noire. J’ai dormi sans ronfler. Dernièrement, j’ai trop dormi, à cause du confinement je crois. J’ai le sommeil léger et facile, à cause du cafard, de la pandémie, ou du cafard de la pandémie.

Soleil

Le soleil n’a plus le même goût à Santos semble-t-il, plus la même douceur. Ce n’est plus l’éternel témoin de la vie en cavale. Celui qui te garantit que le monde est un endroit fiable. C’est devenu une nécessité qui prouve du monde respire dans leur trou, même si les rues sont vides.

Ce matin, le soleil nous honore une nouvelle fois de sa sainte présence. Pas comme d’habitude. Je me tourne dans mon lit. J’observe, d’un œil discret, distrait, ses faibles rayons qui tentent, timidement, de pénétrer dans ma chambre. D’illuminer ma vacillante existence. Il y a un autre lit dans la chambre. Celui d’un ami qui doit partager la chambre avec moi. Il vient la semaine prochaine. Encore la vie d’étudiant qui va reprendre. Cette fois je vais voir les têtes pour de vrai. J’espère que ce ne sera pas derrière des masques. En tout cas, pas pour trop longtemps.

En alerte

On semble être sur la dernière ligne droite de la pandémie. En tout cas, je l’espère bien. Qu’on oublie ce mauvais rêve une fois pour toute. Pas chose facile quand on considère les faits. Jusqu’à ce que le temps flingue nos souvenirs les plus cuisants, on ne peut que s’agiter dans le présent pour tenter de dissoudre la douleur. Celle des beaux souvenirs disparus avec nos proches. Celle des mauvais souvenirs gagnés en période de confinement.

Crédit photo: Carlile (Pas âmes qui bougent sur le Campus…)

Ça donne du cafard, d’attendre ainsi que la vie reprenne du service. On se demande, tout excité, si le goût des choses va être altéré. En alerte sur nos sentiments et nos désirs. Le virus a traqué nos sens. Plus il traîne, moins on respire. J’aime l’odeur de la nourriture qui flâne vers 11:10 à l’Université Fédérale de São Paulo (UNIFESP). Ça me manque de ne plus murmurer discrètement « Accélère un peu professeur, la nourriture n’attend jamais un ventre vide. » Le plaisir de sentir la société tourner et qu’on en fasse partie.

Le rêve…

Ça commence par la routine, l’ennui, puis la fièvre d’une vie perdue nous monte à la gorge. Seul le rêve peut nous aider à respirer. Je bouge autant que possible pour tromper le temps. Me prouver que vivre confiné n’est pas un jeu suicidaire.

Crédit photo: Carlile (Un petit coin de bar à Santos.)

Quand je promène dans Santos, je comprends vite le ras le bol des gens d’être enfermés à double tour. On croise ici, à chaque coin de rue, un petit coin de plaisir. On s’y installe pour tuer le temps. Boire un verre. Rire de la vie avec ses proches ou sa famille. En tout cas, maintenant, avec ceux qui sont encore debout. Le vieux rêve de l’humanité. La vie peut être une vaste source de crises. En rire de temps à autre, c’est le seul moyen de nous éviter le cafard.

L’eau

Il n’y a que l’eau qui puisse me calmer du cafard. Même que, j’en n’ai pas vu la mer depuis quatre ans que je réside au Brésil. Santos en regorge justement. La ville est trempée de plages aux beaux sables fins.

Je me mets en marche, tôt ce matin. On est dimanche. J’ai longé la longue Avenue Conselheiro Nébias qui débouche sur la plage. Brise forte qui balaie le pied des immeubles. J’arrive à quelques centaines de mètres de la plage. Je viens de traverser le canal 4. Des gens, pour la plupart d’âge mûre, qui s’installent timidement dans une nouvelle journée. Ces bars à ciel ouvert les reçoivent déjà. Ils prennent le café du matin, encore la nuit plein les yeux. Mais la journée risque d’être arrosée de bières, de Caïpirinha et de l’eau de coco.

Sur la plage, les gens se baladent, s’entremêlent, se mélangent. La majorité sont très mûrs d’âge. On m’avait prévenu que cette ville était un paradis pour les retraités. Là, j’en ai ma preuve! C’est étonnant qu’ils soient si tranquilles et décomplexés à la vue du soleil. Personne n’est jugé par son apparence quand le soleil, la mer et la brise sont le seul luxe dont il faut se contenter et profiter.

Crédit photo: Carlile (Sur la plage…)

J’ai longé paisiblement la plage les pieds dans l’eau, agréablement froide, et la peau au soleil chaud-tiède du matin, surtout, avec des yeux drôlement baladeurs. Et, dans le sable fin, étalé plat comme un beau champ de plaisir, on y joue au foot, au volley, au foot volley ou au tamboréu. On y croise également quelques coureurs isolés, quelques familles rieuses et de la musique qui fuse un peu dans l’air agréablement tiède.

J’ai terminé ma balade sachant qu’à l’autre bout du monde la guerre charbonne le quotidien des gens. Je voulais m’évader un peu de ce côté du monde. La mer est un excellent allié pour le faire. J’ai vu la guerre toute ma vie. Pas uniquement celle-ci qui se passe en Europe et que tout le monde semble avoir à portée de main, sur l’écran d’un smartphone. Aussi toutes celles que les Occidentaux provoquent dans le reste du monde, en Orient, en Afrique, en Amérique même, pour satisfaire leur égo et assouvir leurs folles ambitions.

Enfin, je préfère mille fois, à ces vieux sauvages, les paisibles retraités que j’ai croisé sur cette plage brésilienne, ici à Santos, qui eux, se contente que du soleil, de la mer et d’une bonne brise. Je n’aurai jamais le cafard avec ces vieux-là! Il me semble.    

Carlile Max Dominique Cérilia               

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