Génération fissurée

Article : Génération fissurée
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26 août 2021

Génération fissurée

(Carlile qui respire un bon-gros coup…)Crédit photo: Valeria Pinheiro

C’est la deuxième fois, en moins de deux mois, que je me réveille, avec au bout du nez, une terrible nouvelle du pays. Ça brise ma matinée. J’apprends qu’Haïti vient de subir un autre tremblement de terre. De magnitude 7.2 cette fois. Le grand sud du pays est gravement touché et le bilan partiel est sérieux. Des morts. Des blessés. Et beaucoup de dégâts matériels.

Je suis resté longtemps à fouiller sur les réseaux sociaux. Il fallait que j’attrape les premières nouvelles pendant qu’elles étaient encore fraîches. L’impression d’être en 2010 quand l’odeur du sang inondait mes journées. La seule différence, cette fois, c’est que je suis loin des secousses.

J’appelle mes parents qui ne décrochent pas. Je panique. Je dois avoir des nouvelles de mes proches restés au pays. Les images que j’ai vues, jusque là, m’inquiètent. Je commençais à peine à digérer l’assassinat de notre président dont les faits sont encore crus. Les vrais coupables du meurtre courent encore et tentent de manipuler l’enquête à bonne distance. C’est beaucoup à encaisser, en aussi peu de temps, pour un peuple qui n’a pas fini de faire son deuil. Cette génération a vraiment des jambes solides, pour arriver à tenir encore debout au milieu de tout ce chaos.

Du fond de mon lit j’attends que mon téléphone sonne. Déjà un coup d’oeil sur les victimes. Je traverse le sombre tunnel qui mène, sans transition, au pays. Faut y traverser sur la pointe des pieds pour ne pas complètement éveiller le vieux démon qui se trouve dans un placard de ma mémoire. Ceux-là qui m’intéressent de voir, ce ne sont pas les morts, eux ne sont plus concernés par ce qui se passe dans cette vie. Ce sont ceux-là qui pleurent devant leurs corps sans vie qui me laissent dans tous mes états. Ceux-là aussi qui viennent de voir le travail de toute une vie partir avec le séisme.

Mon téléphone sonne enfin. Tout le monde va bien. Petit-Goâve et Port-au-Prince s’en sont mieux tirées que la dernière fois. Mais les secousses qui font tanguer la terre poussent les gens hors de leur maison. La ville des Cayes est la plus touchée par le séisme. Je regarde plusieurs fois cette petite vidéo où l’on tire deux adolescents des décombres. Ils n’ont pas arrêté de pleurer dans les bras de leurs proches pendant qu’on cherchait un autre petit garçon qui était plus loin sous les décombres. La vidéo est brutalement interrompue avant que je puisse le voir sortir. Je suis resté longtemps à imaginer la suite. J’ai eu très peur pour le petit garçon. 

Cette génération a tout vu, tout vécu. La fin d’une dictature héréditaire. Des coups d’État et des kidnappigns à l’aveuglette. Des cyclones tropicaux. Le choléra importé. L’assassinat d’un président en fonction dans sa résidence privée. Elle n’a même pas eu le temps de respirer entre deux séismes majeurs, dont l’un est le plus meurtrier du siècle, qu’un cyclone la guette. Une génération fissurée par tant de tragédies qu’il lui faudra une longue pause pour reprendre ses esprits.  

Avec tout ce qui lui tombe sur la tête, le pays a fini par ne plus penser au virus qui tue partout ailleurs. Je suis sûr que la communauté internationale va faire une pause entre la vaccination et le passe-sanitaire pour propulser Haïti tout au devant de la scène. Elle ne rate jamais une occasion de traiter Haïti de maudite. C’est son passe-temps favori.

On se précipite déjà vers le pays pour aider. Pourvu que l’aide internationale, cette fois, ne soit pas une « Assistance mortelle »!

Carlile Max Dominique Cérilia    

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Commentaires

Garens Jean-Louis
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Voilà un texte poignant qui raconte les malheurs d'un peuple qui sait se battre où chaque journée est un nouveau combat!