Haïti : l’angoisse de ma patrie

Article : Haïti : l’angoisse de ma patrie
Crédit: Iwaria via Iwaria
15 octobre 2021

Haïti : l’angoisse de ma patrie

Crédit photo: Valeria Pinheiro

On est jamais loin de sa terre natale. Peu importe l’endroit dans le monde où l’on se trouve, elle nous colle à la peau comme notre odeur. On se rappelle, toujours, brutalement, qu’on vient de ce Sud fragilisé et ravagé par la politique du Nord, quand on tombe sur des images tragiques qui nous font monter des larmes au yeux. C’est la preuve que le monde est vieux, démocratique et injuste.

Ça m’angoisse. J’en parle à mon amie, Giovana. Elle pense que tout va finir par s’améliorer, qu’on peut tirer le meilleur de Covid par notre créativité. Elle a en partie raison. L’homme est incroyablement doué pour transformer le monde à sa guise. Mon amie chante pour combler l’énorme vide des choses non vécues à cause de la pandémie. Je remarque qu’elle tente de me réconforter. “Je tente de te réconforter et de me réconforter aussi, mais je crois dans ce que je dis”, me dit-elle. Le confinement nous étouffe tous. Je remarque que l’on va à l’université une fois dans une vie. Là, on est peut-être en train de passer à côté des plus belles années de notre vie, coincés dans notre chambre à observer le monde à partir d’un petit écran.

Crédit photo: Gabriel Ramos

J’avais dit que mon amie n’avait qu’en partie raison. Mon souci dépasse le Covid. Cette pandémie va s’en aller comme d’autres avant lui. Je m’angoisse pour mon pays, mon peuple, pour le monde qui devient de plus en plus injuste, inégalitaire, paranoïaque et traumatisant.

Je n’ose plus me confier à mes parents. J’ai passé l’âge pour ce genre de choses. D’autant plus que ma mère est devenue trop fragile et mon père, lui, croit toujours que je suis solide et optimiste. Je n’arrête pas de lui dire que le pays va retomber sur ses pattes un jour ou l’autre. Je ne peux pas prendre le risque de passer pour un lâche, et devant mon pays (pour l’avoir laissé), et devant mon père (pour l’avoir déçu).

J’ai pleuré quand j’ai vu, ce matin, la photo de ce jeune de 17 ans qui baignait dans son sang sur l’asphalte chaud. Il allait à l’école avec un ami quand, sortie de nulle part, une balle l’a atteint en pleine tête. On cueille la vie à sa source. Et l’avenir de mon peuple, avant de tirer son épingle du jeu, se fait brutalement écraser par la terrible machine de la mort et de l’exil.   

L’état de mon pays, la bourgeoisie criminelle, ainsi que la communauté internationale (qui se regroupe en Corps-Groupe sur la toute petite île des hommes libres), sont de mèche avec les gangs qui pullulent dans tout Haïti et distribuent des balles gratuites à un peuple qui revendique simplement le droit d’exister comme tout être humain le mérite.

Si mon pays est devenu une zone de non-droit, c’est parce que mon peuple a été pris pour cible. Entre les gangs, la bourgeoisie et l’État, la population est mise à l’épreuve tous les jours. Elle passe d’êtres humains à objets. D’abord sous éduquée, aliénée puis instrumentalisée, en passant par toutes sortes de violences: kidnapping, viols des jeunes femmes, exécutions à l’aveuglette, la liste est encore longue. 

Mon amie enfin, me demande si je me sens mieux après avoir pleuré. Comment respirer quand ma douce patrie se transforme, juste sous mes yeux, en cauchemar ? Où l’on trouve de quoi remplir le ventre des armes, et non du peuple. Je m’angoisse, même si je me trouve à mille lieux de ma terre natale. C’est le sort de toute âme consciente du Sud, qui habite au Nord.

Carlile Max Dominique Cérilia  

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