Haïti : la fête des balles

Article : Haïti : la fête des balles
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11 juillet 2021

Haïti : la fête des balles

Crédit photo : Valeria Pinheiro

Ça y est. Me voilà la cible de cette vague d’intérêt qui traque tout ce qui ressemble de près ou de loin à un intellectuel haïtien vivant à l’étranger. Mon ami journaliste, José Pires de Parágrafo2 (un modeste média en ligne qui traque et décrypte tout ce qu’il se passe dans la vie sociale et politique brésilienne), veut savoir si j’avais quelque chose à dire du terrible assassinat du président Jovenel Moïse. Je devrais, au moins, écrire un petit article sur le sujet. Ce n’est pas totalement sa faute s’il me saute, comme ça, à la gorge. Quelques jours avant l’assassinat du président, je lui ai fait part de mon envie de m’exprimer sur la violence incroyable qui ronge Haïti.

D’autres amis.es, de leur côté, me font des condoléances. J’ai compris alors que, d’une certaine manière, j’étais intimement lié au président. Ils cherchaient aussi à en savoir un peu plus sur la situation de son assassinat. Ils voulaient des détails précis que je n’avais pas. La vérité, c’est que je ne savais pas plus que ce que m’a dit mon frère Russel quand il m’a réveillé tôt le matin du meurtre : “Notre président a été assassiné cette nuit !” On est restés silencieux un moment. Sans doute pour tenter de digérer le choc. Voilà, vous venez de vous rendre compte que j’étais aussi surpris que vous par la nouvelle.

Avant d’aller plus loin, je voudrais clarifier ceci pour le lecteur. Un intellectuel haïtien est celui qui a courageusement traversé la savane désolée en observant des pauses essentielles ; soit l’exil, soit la prison, soit la mort prématurée. Il faudra d’abord que je passe par là pour arriver à cette hauteur. Dany Laferrière, ou Jacques Stephen Alexis peuvent revendiquer une telle position. Pour l’instant, je ne suis qu’un poète en exil. Je crois, en fait, que mon ami s’intéresse à moi pour cette raison précise.

J’ai voulu quand même jouer à son petit jeu. Allons-y. Cet assassinat pousse de nouveau Haïti au centre des attentions. On parlera d’elle, pendant un moment, comme on le fait d’habitude sur la scène internationale. Pauvre Haïti, qu’il faut aider à sortir du trou ! Des aides qui retombent toujours dans la poche de celui qui offre. Je crois qu’Haïti a assez vu, maintenant, pour qu’elle se laisse encore faire à chaque fois. Ce genre d’événement arrive toujours, dans l’histoire d’un peuple, pour qu’il puisse apprendre à se prendre en main.

Le lecteur vient de sourire ! Comment un peuple peut-il se prendre en main quand son président n’est même pas à l’abri des balles perdues ? Le lecteur qui pense ainsi a le privilège de se trouver du bon côté du globe. Au moment où l’on parle, tout Haïti se rassemble derrière l’assassinat du président Jovenel (chacun pour son propre motif). Je crois que, vu d’ici, on voulait que je sois le témoin des faits. J’ai perdu ce privilège depuis au moins trois ans, quand j’ai laissé Haïti par la petite fenêtre de l’immigration.

On sait au moins que les mercenaires qui ont descendu le président sont pour la plupart des étrangers, des colombiens, entre autres haïtieno-américains. Pas ceux-là, qui ont commandité le meurtre depuis leurs sombres bureaux au bout du téléphone rouge. Une chose est sûre, c’est qu’il faut au moins remplir trois conditions pour oser commanditer l’assassinat du président d’un pays du tiers-monde ; se sentir gêné par lui, se croire plus légitime que lui, et du peuple qu’il dirige (bien que le mandat du président Jovenel ait pris fin bien avant son assassinat), et être capable de mettre le prix pour une telle opération.

Vous venez de comprendre que la petite affaire était plus compliquée que ça. Ceux qui s’intéressent vraiment à la situation d’Haïti savent que depuis au moins deux ans, les balles y font la fête, en pleine rue et en plein jour. Les gangs armés ont paralysés le bon fonctionnement du pays et l’ont coupé, entre autres, en plusieurs zones de non-droits. On sait aussi que le président Jovenel était très contesté parce que la population l’a soupçonné d’être de mèche avec les gangs que le régime de PHTK a introduits dans le pays. La fête des balles a fini par s’inviter à la résidence privée du couple présidentiel.

J’ai l’impression que maintenant, en Haïti, on comprend que personne n’est à l’abri, finalement. Maintenant, quelques jours après le brutal assassinat du président Jovenel Moïse, la population réclame la tête des coupables. Elle accompagne elle-même la police dans la poursuite des mercenaires qui ont été capturés, et pour quelques-uns, tués. Mais pour l’instant, aucunes grosses têtes n’ont été placées sur le banc de l’accusé. Une grosse enquête à suivre, pendant que, comme d’habitude, le gouvernement haïtien ne cesse de demander l’appui de la communauté internationale… Quand viendra le moment où le gouvernement Haïtien pourra, tout seul, comme un grand, changer sa couche ? J’espère que ma réponse aura été utile à mon ami, et au lecteur qui vient de lire ce modeste article.

Carlile Max Dominique Cérilia

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